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Introduction

François Daireaux peut, sans conteste, se définir comme un artiste pérégrin. Quoique l’idée de pèlerinage puisse corrompre la compréhension d’une démarche (dans toutes les acceptions du terme) profondément originale. _ Tout commence donc avec les pieds, le déplacement, la visite, l’exploration, la découverte. Le mouvement, non dans sa vacuité moderne, mais comme rencontre avec différentes cultures pour appréhender l’activité humaine dans ses implications traditionnelles, le plus souvent occultées ou folklorisées. L’artiste développe ainsi un projet cohérent né au cœur de l’atelier pour mieux embrasser le monde. Une pratique de la forme et du sens induite par la matière même. Un savoir-faire prenant en compte la répétition, le recyclage, l’interaction, le renouvellement, la diversité des matériaux et leur capacité sensible et tactile à se transformer voire à se métamorphoser. Le voyage s’apparente-t-il à « une esthétique du divers », comme le proposait Victor Segalen ? Ici, pourtant, se décline en permanence le refus de tout exotisme mercantile, corollaire obligé d’un point de vue colonialiste. « Ceci, universel, n’est que ma vision à moi : artiste : voir le monde, et puis dire sa vision du monde » (toujours Victor Segalen).
Le voir, le comprendre, l’appréhender, par le travail comme processus vital, organique. Et si « chaque époque et chaque société recréent leurs propres “autres” » (Edward W. Said), François Daireaux pense concrètement l’autre et l’ailleurs, de façon indivisible. L’humanité n’existe que dans l’œuvre accomplie. Par et pour le geste, il retrouve l’universel en observant, modelant, découpant le rituel de la production inlassablement réitéré. Quand Jacques Demy réalise en 1955 Le Sabotier du Val de Loire (commentaire dit par Georges Rouquier), il propose tout à la fois un documentaire sur la fabrication des sabots et, surtout, une réflexion sur la fuite du temps. Pour François Daireaux, les artisans indiens, chinois, marocains participent à un rapport au temps où la nostalgie s’efface. Ils représentent autant de révélateurs de la multiplicité des modes d’intervention, de styles, de vies, périphériques et constitutifs de l’essence humaine. « La pluralité est la condition de l’action, parce que nous sommes tous pareils, c’est-à-dire humains, sans que jamais personne soit identique à aucun autre homme ayant vécu, vivant ou encore à naître » (Hannah Arendt).
L’artiste marcheur sculpte, dessine, filme, photographie.
Plus que dans la fonction, François Daireaux se révèle dans la pratique. Ainsi, sa dernière création réalisée à la Villa Tamaris, déclinée en deux cent trois pièces. La mise en relief de relevés photographiques mettant en œuvre l’air et la matière, tel un processus de recyclage où se discerne une archéologie du présent. Skizzes/schises, l’homonymie est rarement innocente. Sans doute faut-il découvrir dans ce rapprochement l’idée d’une coupure dans la représentation, d’une volonté de privilégier le « comment c’est fait ». Les traces, leur mise à distance et leur effacement deviennent autant d’éléments d’un vaste projet en perpétuel devenir dont la force critique ne se comprend que dans la maîtrise aléatoire des formes.

Robert Bonaccorsi

Préface pour la monographie "François Daireaux 1992 - 2009" aux éditions Lienart et coproduite par le centre d’art Villa Tamaris et le centre d’art Abbaye de Maubuisson.