Blow Bangles Production
Exposition du 23 janvier au 30 mars 2013, centre d’art - La Maréchalerie, Versailles.

Power, 2013
Power, 2013
120 000 bracelets de verre noir de Firozabad
Power, 2013
Power, 2013
120 000 bracelets de verre noir de Firozabad (détail)
Blow Bangles, 2013
Blow Bangles, 2013
404 empreintes en verre soufflé
Blow Bangles, 2013
Blow Bangles, 2013
404 empreintes en verre soufflé (détail)

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Blow Bangles
404 empreintes, verre soufflé


"Par la refonte d’une tora, François Daireaux inverse l’involution manufacturée des bracelets pour recompacter la matière. Mais si la nouvelle empreinte créée convoque la notion d’absence, de perte de la forme initiale, elle est ici ambiguë : chaque empreinte, sorte de « tiroir à double fond », possède une face visible et une face cachée. Sous l’apparence d’un objet-design, l’empreinte porte en elle la trace de l’événement qui a fait disparaître sa matière première - la fonte d’une tora et le soufflage dans le moule, ficelle comprise - en tant que forme autonome, tout en laissant distinguer les Bangles agglomérés, comme fossilisés dans le nouvel objet, figés dans leur bain.

La fusion d’une production dans une autre, ou plutôt d’une matière dans le cerne d’une autre, la dilapidation de l’énergie dont elle est issue, a quelque chose d’extrêmement violent. D’autant plus violent que les soixante-quatre minutes de film s’évertuent à décliner les étapes, les gestes méticuleux et les nombreuses heures de travail qu’une tora nécessite. C’est dans cette violence que réside la dimension politique du projet. Déjà dans sa vidéo Firozabad, lorsqu’il filme les ouvriers accroupis devant les « meules de la nécessité » [16], leurs outils rudimentaires, ramassant le verre à la main, ou inhalant les fumées de semelles plastiques qu’ils récupèrent et brûlent, François Daireaux montre les conditions de travail pénibles, le décalage entre les conditions de vie d’un ouvrier et le public à destination duquel les objets sont minutieusement manufacturés, au sens premier du terme, « fabriqués à la main ». Mais c’est dans son prolongement sculptural, les 404 empreintes, que François Daireaux pousse encore plus loin sa réflexion politique. Point de message ici mais une mise en tension dans le processus même de création. Pour réaliser cette série, l’artiste est passé par les canaux habituels du commerce, devenant lui-même acteur de la mondialisation (sachant que plus de la moitié de la production verrière de Firozabad part à l’étranger) en achetant aux marchands firozabis autant de toras qu’il existe de nuances de Bangles, dont il remplit un container entier à destination de Meisenthal. Cet artisanat séculaire – local – dont il a sondé les procédés de fabrication des mois durant, devient un objet déterritorialisé, délocalisé en France. François Daireaux rejoue ici le processus d’échange, de migration et de mise en réseau, l’imbrication de l’économique et du culturel propre à la mondialisation. Mondialisation qui est à l’origine même du début de l’industrie verrière à Firozabad, importée par les envahisseurs successifs qui ont exporté en Inde de nombreux objets en verre, notamment recyclés par les firozabis pour la fabrication des bracelets. François Daireaux explore la contradiction ô combien d’actualité entre local et global. Mais ici, il met directement en tension – physique - du local avec du local, en filtrant le savoir-faire d’une ville par le moule d’une autre, pour entrevoir les effets du global : d’un côté le verre d’une industrie locale qui produit en quantité démesurée, prise dans la machine infernale du commerce mondial ; et de l’autre le verre d’une industrie tout aussi locale qui parvient à se maintenir, mais qui renvoie inévitablement à la crise industrielle nationale et aux rares usines verrières encore ouvertes en France qui redoublent d’efforts face à une concurrence mondiale, notamment venue d’Inde.

La réalisation des 404 empreintes relève d’un pur processus de sculpteur, régi par les fondements même de la sculpture, à savoir transformer, altérer une matière (une production entière ici) pour lui donner une forme nouvelle, mais il est ici, et c’est tout l’intérêt de ce travail, rapporté à l’échelle du monde."

Extrait du texte Le monde est une sculpture qui s’ignore par Alexandrine Dhainaut.


404
Inventaire, 404 couleurs de bracelets de verre de Firozabad.


Firozabad
64’, Film couleur, sonore, sans dialogue, 2013.

Firozabad (extrait)

64’, Film couleur, sonore, sans dialogue, 2013.

"Avec Firozabad, François Daireaux prolonge visuellement le travail réalisé pour Suite, Work in Progress, inventaire non exhaustif de gestes artisanaux du monde entier commencé en 2004. Mais ici, l’artiste sort du fragment pour ouvrir davantage le cadre sur les corps à l’ouvrage. Firozabad, sorte de « pièce à tiroirs » faisant se succéder des scènes disparates, explore néanmoins un même thème : la cinématique du travail. Dans chaque usine, François Daireaux saisit la coordination rythmique, voire hypnotique des corps, des gestes individuels et les forces qui les régissent. Le film n’en ressort que plus chorégraphique et captive par le ballet incessant des ouvriers du verre, les déclinaisons de ses formes, du recyclage à la liquéfaction, de la substance molle rougeoyante au produit fini solide, dans une variété de couleurs et de formes infinie. L’immersion de l’artiste au milieu des ouvriers semble totale tant le cadrage se montre à taille humaine. Il délaisse la fixité de Suite, Work in Progress, change d’échelle, et se laisse guider par tout ce qui se passe sous ses yeux. Ainsi, la caméra glisse d’un sujet à un autre, d’une forme à une autre, scrute les détails, les expressions, le dénouement des formes avec une spontanéité peu coutumière dans la pratique de François Daireaux. Corps-caméra ou corps-réceptacle, il devient médiateur, articulateur des forces et des formes en présence. Faire l’expérience du réel, physiquement, est essentiel pour lui. L’artiste tient d’ailleurs une distance extrêmement rapprochée avec la matière-verre et tout aussi rapprochée avec les ouvriers, dont il filme en gros plan les corps et les visages, le plus souvent le regard face-caméra [5]. Dans un même mouvement, filmer revient ici à effleurer constamment les corps et l’affleurement de la forme.

Les hommes, leurs gestes et leurs visages comme filmés « à bras-le-corps », et l’omniprésence de la peau participent de la sensualité, voire de la sexualité, qui émanent des images. François Daireaux multiplie les cadrages sur les mains ouvrières manipulant les cannes de souffleur, les formes molles et débandantes [6] du verre, les plans sur les nuques, les torses nus, les assoupissements (le film est entrecoupé d’images de corps étendus ou de mains lâches) ou encore les légers balancements de hanches des ouvriers en plein travail de la matière. Ce n’est pas anodin non plus si l’artiste, dans un montage parallèle, alterne images tournées au cœur des usines et plans fixes sur les murs aux abords de celles-ci : à la peinture blanche y sont inscrits des messages publicitaires en hindi promouvant la prise de médicaments à des fins sexuelles. Non sans rappeler les théories marxistes concevant travail et procréation comme les deux modes d’un même processus de fertilité vitale, ce n’est pas tant la sexualité qui est en jeu ici que la « préservation de la fonction reproductive » [7]. Il est aussi frappant de voir que le corps de la femme, bien qu’absent des usines firozabies (à quelques exceptions près [8]), hante pourtant l’univers masculin dépeint ici, à travers l’objet éminemment féminin que sont les Bangles [9].

Vie et verre semblent pris dans un même cycle à Firozabad, ce que viennent souligner les radiographies des cages thoraciques suspendues devant une échoppe (évoquant inévitablement la structure des toras et la transparence du verre) dont François Daireaux insert quelques plans. On dit qu’à Firozabad, les gens sont si absorbés par le verre qu’ils ne respirent pas l’air, mais le verre…"
Extrait du texte Le monde est une sculpture qui s’ignore par Alexandrine Dhainaut.


Power, 2013
Power, 2013
120 000 bracelets de verre noir de Firozabad (vue de nuit)

PDF - 5.1 Mo
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Firozabad-Meisenthal, Blow Firozabad Bangles, éditions Lienart, 2013
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Lire le texte d’Alexandrine Dhainaut
LE MONDE EST UNE SCULPTURE QUI S’IGNORE

Voir la vidéo de l’entretien réalisé au CIAV avec François Daireaux
https://vimeo.com/41484553