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Les rêves de Daireaux

55’
VO : Espagnol (Argentin) / ST : Français
Image / Montage : François Daireaux
Son : Suzanne Durand - François Daireaux
Voix off : Enrique Parma
Co-production : Spectre productions - François Daireaux
Diffusion : Phantom
Support de projection : DCP


Durant l’été 2010, François Daireaux quitte la France pour découvrir et faire l’expérience de la ville de Daireaux en Argentine. Pendant de longues journées il marche dans Daireaux pour filmer la ville qui porte son nom. Pendant ses nuits à l’hotel Daireaux, il fait de nombreux rêves.

En el verano del 2010, François Daireaux viaja a la Argentina para descubrir la ciudad de Daireaux. Durante esos días, recorre y filma la ciudad que lleva su nombre. Por la noche y en el hotel Daireaux, lo visitan sus sueños.


Voir un extrait


lire l’entretien de Olivier Marboeuf avec François Daireaux


Entretien de Olivier Marboeuf avec François Daireaux
autour de son film Los Sueños de Daireaux présenté dans le cadre de Trafic de Légendes, premier mouvement de l’exposition Les Nouveaux Mondes et Les Anciens.

OM : Comment as-tu débuté ce projet sur la ville de Daireaux ?

FD : Il y a d’abord une petite image. C’est à partir de cette image que j’ai commencé à projeter des choses. C’est toujours comme ça que je fais. Dans mon processus de travail, il y a toujours un élément déclencheur. Quand c’est de la sculpture, cela peut être un morceau de quelque chose, pour mon travail visuel, cela va être, par exemple, une petite image qui va rester dans mon atelier. J’ai trouvé celle-ci sur internet. Une rumeur circulait dans ma famille qui disait qu’il y avait des îles en Amérique du Sud qui portaient notre nom.
À un moment donné, je me suis dit que j’allais quand même essayer de voir de quoi il s’agissait. En fait, il ne s’agissait pas d’îles mais d’une ville qui s’appelle Daireaux et qui est située dans le sud de la Pampa, au milieu de la province de Buenos Aires. Sur ce site Internet, il y a vraiment une image qui a retenu mon attention.
Dessus, il y a un homme de dos qui marche dans la neige avec à côté de lui mon nom écrit en grandes lettres sur un panneau. Alors je me suis dit que cet homme qui marchait, c’était moi. C’est une image en noir et blanc, une image qui ressemble à une archive, à un rêve. _ Il s’agissait pour moi de la coloriser. Deux ans après, je décide de faire le voyage sans avoir écrit quoi que ce soit, sans projet précis. C’est aussi de cette façon que je travaille. Ce qui m’intéresse c’est de faire des expériences. Là, il fallait aller en Amérique du Sud et je n’y étais jamais allé. Habituellement je travaille beaucoup en Asie, en Afrique du Nord.
Je suis donc parti là-bas. Au départ, je me suis quand même fait inviter par la municipalité de Daireaux. On me loge dans le seul hôtel de la ville. J’arrive, j’ai une chambre retenue dans cet hôtel qui s’appelle Daireaux, je m’essuie les pieds sur un paillasson sur lequel est écrit Daireaux. J’ouvre l’armoire et je vois un cintre où est écrit en grandes typographies noires, Daireaux tout simplement.
J’ai alors commencé à marcher dans la ville comme je le fais sur d’autres territoires, sans but précis. Ce qui est assez particulier dans cette ville, c’est que le nom apparaît sur toutes sortes de supports. J’ai rencontré pas mal de gens aussi à cause de mon nom. Pour eux cela signifiait que j’appartenais à la famille qui avait fondé cette ville. Donc je suis invité, j’ai le droit de prendre des petits avions, puisqu’il y a deux petits aéroports.
Je survole la ville. Je commence à un moment donné à vraiment y croire, à entrer moi-même dans une fiction. La première chose que j’ai fait en arrivant est de retourner sur le quai de la gare, qui est juste en face de l’hôtel Daireaux. C’est ce quai qu’on voit sur la petite photo noir et blanc que j’avais découverte deux ans auparavant. C’est là où j’ai commencé à filmer.
Il faut bien le dire, c’est une ville absolument ennuyeuse. On pourrait d’ailleurs très bien ne pas être en Argentine. Au niveau de l’architecture, on pourrait se trouver au sud de la France, il y a des platanes, des petites places. Il y a un quartier qui s’appelle l’Aveyron. C’est ça aussi qui m’intéressait, ces lieux qui pourraient être partout.
Los sueños de Daireaux m’a évidemment renvoyé à la question de l’identité, de la famille aussi. Des choses dont le sens m’échappe un peu. Une forme de proximité un peu particulière. À la fois, quand je vais en Chine, en Inde ou en Afrique du Nord, j’ai l’impression que ce que je capte du réel, ce sont de toute façon des parties de moi-même. Quand je suis dans des villes en Chine, je ne m’intéresse pas tant à comprendre la langue, je capte des choses qui sont le miroir de ce que j’ai en moi. Du coup, il se crée des connexions entre les choses filmées en Bolivie, en Inde ou à Daireaux. Je me sens incapable de filmer autre chose.

Trouver Daireaux au bout du monde pour moi, c’est aussi la trace d’un cycle de colonisation : un nom est déposé pour prendre possession d’une terre mais il revient ensuite hanter son propriétaire. Car le nom s’est développé de façon autonome, il est devenu une créature étrangère.

Oui, il y a une histoire de retour des vies antérieures. Ce coin de l’Argentine est un territoire où, plus que tout autre lieu dans le monde, on trouve vraiment toutes les nationalités. On peut aller dans des villages qui sont complètement ukrainiens ou même trouver des petites villes avec un côté assez bavarois ou même japonais. C’est une chose qui me fascine et qui a un fort écho en moi. Ce sentiment d’être moi-même composé de morceaux, peut être les révélateurs de vies passées où j’étais dans le corps d’un arabe, d’un chinois. Je suis assez porté sur ce genre de considérations. C’est aussi la base de ma connexion avec l’autre, même quand je suis dans des contrées très lointaines, quelque chose qui passe par le corps.

Pour la première fois, tu introduis dans tes films de la voix, une voix sans corps, une deuxième voix qui raconte des choses de ton intimité mais en espagnol, une voix personnelle donc, mais autre à la fois.

Mon travail joue beaucoup avec le hasard ; saisir des choses au passage, les assembler de manière intuitive. Cette voix, c’est la voix d’un psychanalyste argentin. Cette histoire commence à Paris, dans le noir. Ce psychanalyste, je l’ai rencontré par hasard lors de la projection d’un de mes films. Il s’est approché de moi et m’a demandé si je connaissais la ville de Daireaux en Argentine. C’était quinze jours avant de partir. C’est un peu un hasard borgésien. Il m’a dit que lorsqu’il avait vu ce nom, ça lui avait rappelé des souvenirs d’enfance car sa famille connaissait bien la famille Daireaux en Argentine. Voilà pour l’étrange coïncidence. Ce projet de film a un côté complètement labyrinthique et, en même temps, une forme d’évidence. Je me dis toujours, quand je pars marcher quelque part, que c’est dans la marche que je vais trouver la réponse comme un chemin invisible dans un labyrinthe. À un moment donné, j’aurais la réponse à La Paz de quelque chose que me préoccupait à Firozabad. Ce sont ces connexions qui jouent le rôle de révélateur. C’est aussi une nouvelle façon de regarder le monde aujourd’hui, un nouveau régime sensible. On sort d’une certaine histoire pour entrer dans une autre.

Quand as-tu décidé précisément d’ajouter une voix au film, chose que tu ne fais jamais d’habitude ?

J’ai fini un premier montage qui était très contemplatif, assez mystérieux. Il y avait un côté vide, quelque chose qui parlait de l’ennui. Parce que pour moi, mon nom est aussi relié à ça : une forme d’ennui, de vide. Mais, à un moment donné, je me suis dit qu’il manquait quelque chose. Je note mes rêves au quotidien depuis de nombreuses années. Comme je voyage beaucoup, je me retrouve dans des milliers de chambre d’hôtel et les rêves sont alors pour moi des moyens de m’ancrer, de ne pas trop me perdre, de me retrouver. C’est peut-être pour ça que je les conserve ainsi. À ce moment-là du travail sur le film, je me suis dit que j’allais ouvrir mon carnet aux pages correspondantes aux nuits que j’avais passé à l’hôtel Daireaux. Ça m’intéressait car il y avait un décalage mais aussi évidemment des connexions inattendus avec mon quotidien dans la ville. Pour moi ce n’était pas évident. Les rêves c’est quand même quelque chose d’assez particulier. Même si en tant qu’artiste on s’expose, là il s’agit de choses très intimes. C’est assez troublant, dérangeant, de me dire que les gens vont avoir accès à ça dans le film.

Les rêves du film parlent beaucoup de famille et d’amis. Comme si découvrir ce nom dans ce territoire lointain avait aussi quelque chose d’étranges retrouvailles.

Je me demande souvent ce que je fais à marcher aux quatre coins du monde. J’ai passé tout une partie de ma vie à marcher comme ça dans des territoires complètement perdus sans trop savoir ce que je venais y faire. Et le pire c’est que je continue. Je me dis parfois qu’un jour, je rencontrerai mon double qui sera aussi celui qui me tueras. À un moment donné, je vais me retrouver face à moi-même. Dans ce film, c’était aussi une façon de jouer avec ça, d’aller à la rencontre de cette figure du double. Tout cet univers de la littérature argentine berce évidemment aussi ce travail. Je me suis dit que ce n’était quand même pas un hasard si l’Argentine est hantée par des écritures comme celle de Adolfo Bioy Casares ou Borgès, des formes d’écriture du rêve. Je suis un joueur. J’aime bien jouer avec toute cette mémoire. J’ai le goût du jeu et aussi d’une certaine mise en danger. Le film n’est pas tant un film sur ma famille comme tu en parles. C’est plutôt un film existentiel. J’aime beaucoup qu’il soit assez mélancolique. Je crois d’ailleurs être allé dans le pays le plus mélancolique qui existe. L’image de départ du film est elle-même assez mélancolique. C’est le quai d’une gare, à la fois un point de départ et d’arrivée. Le quai de la gare c’est un lieu paradoxal, à la fois lieu de tous les possibles mais c’est aussi l’expression de la limite, point de questionnement du voyage. Car à chaque fois que j’entreprends de faire un nouveau voyage, puisque c’est là ma manière de travailler, cela me paraît toujours en même temps vain.

C’est ce film qui en parle le plus dans ton travail.

Oui, là on est au summum de ce que je cultive depuis des années, ce sentiment d’être un exilé, pas à ma place. Après c’est vrai que ce film est arrivé à un moment de ma vie, de mon parcours, où je me suis demandé si je devais continuer ou arrêter de voyager. Il apporte à sa manière quelques réponses à cette question.

Propos recueillis par Olivier Marboeuf

 en mars 2012