Exposition personnelle du 25 avril au 29 juin 2019, Eleven Steens, Bruxelles, Belgique.

Blow Bangles
Blow Bangles
404 empreintes, verre soufflé.

404
Inventaire, 404 couleurs de bracelets de verre de Firozabad.


"Par la refonte d’une tora, François Daireaux inverse l’involution manufacturée des bracelets pour recompacter la matière. Mais si la nouvelle empreinte créée convoque la notion d’absence, de perte de la forme initiale, elle est ici ambiguë : chaque empreinte, sorte de « tiroir à double fond », possède une face visible et une face cachée. Sous l’apparence d’un objet-design, l’empreinte porte en elle la trace de l’événement qui a fait disparaître sa matière première - la fonte d’une tora et le soufflage dans le moule, ficelle comprise - en tant que forme autonome, tout en laissant distinguer les Bangles agglomérés, comme fossilisés dans le nouvel objet, figés dans leur bain.

La fusion d’une production dans une autre, ou plutôt d’une matière dans le cerne d’une autre, la dilapidation de l’énergie dont elle est issue, a quelque chose d’extrêmement violent. D’autant plus violent que les soixante-quatre minutes de film s’évertuent à décliner les étapes, les gestes méticuleux et les nombreuses heures de travail qu’une tora nécessite. C’est dans cette violence que réside la dimension politique du projet. Déjà dans sa vidéo Firozabad, lorsqu’il filme les ouvriers accroupis devant les « meules de la nécessité » [16], leurs outils rudimentaires, ramassant le verre à la main, ou inhalant les fumées de semelles plastiques qu’ils récupèrent et brûlent, François Daireaux montre les conditions de travail pénibles, le décalage entre les conditions de vie d’un ouvrier et le public à destination duquel les objets sont minutieusement manufacturés, au sens premier du terme, « fabriqués à la main ». Mais c’est dans son prolongement sculptural, les 404 empreintes, que François Daireaux pousse encore plus loin sa réflexion politique. Point de message ici mais une mise en tension dans le processus même de création. Pour réaliser cette série, l’artiste est passé par les canaux habituels du commerce, devenant lui-même acteur de la mondialisation (sachant que plus de la moitié de la production verrière de Firozabad part à l’étranger) en achetant aux marchands firozabis autant de toras qu’il existe de nuances de Bangles, dont il remplit un container entier à destination de Meisenthal. Cet artisanat séculaire – local – dont il a sondé les procédés de fabrication des mois durant, devient un objet déterritorialisé, délocalisé en France. François Daireaux rejoue ici le processus d’échange, de migration et de mise en réseau, l’imbrication de l’économique et du culturel propre à la mondialisation. Mondialisation qui est à l’origine même du début de l’industrie verrière à Firozabad, importée par les envahisseurs successifs qui ont exporté en Inde de nombreux objets en verre, notamment recyclés par les firozabis pour la fabrication des bracelets. François Daireaux explore la contradiction ô combien d’actualité entre local et global. Mais ici, il met directement en tension – physique - du local avec du local, en filtrant le savoir-faire d’une ville par le moule d’une autre, pour entrevoir les effets du global : d’un côté le verre d’une industrie locale qui produit en quantité démesurée, prise dans la machine infernale du commerce mondial ; et de l’autre le verre d’une industrie tout aussi locale qui parvient à se maintenir, mais qui renvoie inévitablement à la crise industrielle nationale et aux rares usines verrières encore ouvertes en France qui redoublent d’efforts face à une concurrence mondiale, notamment venue d’Inde.

La réalisation des 404 empreintes relève d’un pur processus de sculpteur, régi par les fondements même de la sculpture, à savoir transformer, altérer une matière (une production entière ici) pour lui donner une forme nouvelle, mais il est ici, et c’est tout l’intérêt de ce travail, rapporté à l’échelle du monde."

Extrait du texte Le monde est une sculpture qui s’ignore par Alexandrine Dhainaut.