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CHELLAPPAN
CHELLAPPAN

Exposition personnelle du 29 juin au 27 août 2023,
Chapelle du Quartier Haut, Sète.


28 moulages en plâtre sur 28 selles de sculpteur.

Film couleurs silencieux, 25’ en boucle, projection sur écran 300x400cm

28 moulages en plâtre sur 28 selles de sculpteur.




Laila
(moniteur gauche)
VO : Malayalam ST : Français
24’25"
Krishnapillai
(moniteur droite)
VO : Malayalam ST : Français
25’45"


JPEG - 523 ko
Nude for a Day
Impression jet d’encre sur bâche poyester, 374x530cm

Nude for Day
Nude for Day
Peintures sur papier, 42 x 30 cm, chacune.

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Histoire de Chellappan :

En février 2007, j’arpentais la ville de Trivandrum au Kerala en Inde quand, dans un jardin entourant une grande bâtisse rouge d’époque coloniale, mon regard fut attiré par une sculpture de plâtre représentant un personnage de plain-pied, torse nu, vêtu simplement de son traditionnel dhoti. Je la photographiai lorsqu’un homme entra dans le cadre. Je fus saisi par sa ressemblance avec la sculpture. Je m’approchai de lui, il me prit doucement la main pour une visite du jardin. Il me désigna ici et là, des bustes de plâtre jetés à même le sol, dégradés par le temps et voués à être dissous par les pluies diluviennes des moussons. Cette visite se passa sans un mot, uniquement par les gestes de cet homme qui de son index me désignait l’un après l’autre chacun des vingt-huit bustes puis son visage, certifiant ainsi qu’il s’agissait bien de lui. Toujours main dans la main, j’entrai avec lui dans la bâtisse et découvris qu’il s’agissait du College of Fine Arts de Trivandrum. L’une des nombreuses écoles d’art construite en 1881 durant l’empire britannique par Moolam Thirunal Sir Rama Varma, maharaja de l’état de Travancore.

Fortement marqué par cette rencontre, je décidai le lendemain de retourner sur les lieux. Je pénétrai dans le département de sculpture et y retrouvai cet homme, toujours torse nu en train de poser devant un groupe d’étudiants. J’observai la rigueur avec laquelle il s’appliquait à tenir la pose. La chaleur était accablante et au fur et à mesure des heures, cet homme vieillissant à la peau burinée luttait pour tenir la pose à la perfection. J’appris son nom : Chellappan. Les jours passant, je me rendis compte qu’il était le modèle vivant le plus prisé de cette école. Il était très proche des étudiants dont il était à la fois le modèle, l’ami et le père symbolique. Ils partageaient ensemble leurs repas mais personne ne semblait savoir grand-chose de la vie privée de Chellappan. Il était devenu une icône, un personnage public, une star locale mais son regard laissait entrevoir une grande solitude. Depuis plusieurs décennies il allait et venait dans cette école, attendant d’être sollicité et payé pour une séance de pose. C’était son unique moyen de subsistance. Pour des générations d’étudiants, il représentait le modèle vivant idéal, irremplaçable. Il parlait uniquement malayalam et nous ne pouvions communiquer que par gestes ou en anglais par l’intermédiaire des étudiants. Pendant des années, son visage avait fait l’objet d’innombrables études en terre pour ensuite être moulées en plâtre. Au fil du temps les moulages se retrouvaient au rebut, disséminés à même la terre de ce jardin et voués à se décomposer.

En mars 2007, de retour en France, les multiples visages de Chellappan me hantaient. J’avais pu observer la ferveur avec laquelle les étudiants travaillaient pour acquérir les codes de représentation issus de l’héritage colonial. À leurs yeux, Chellappan était l’archétype de l’Indien des temps anciens. J’étais appelé à le revoir car bien décidé à produire une œuvre qui témoigne de sa vie, de son travail. Ainsi en décembre 2007, je décidai de retourner à Trivandrum. Avec un groupe d’étudiants et la complicité de Chellappan, nous avons réalisé un moulage précis de chacun des bustes dans leur état de ruine. Chellappan était fier et heureux du projet de se savoir exposé en Europe. Enfin, je le payai pour poser pendant 25 minutes devant ma caméra. Ce fut son premier et dernier film.

En avril 2010 j’appris qu’il s’était suicidé après une ultime pose. Profondément affecté par cette nouvelle, je me souvenais qu’en faisant ce projet d’installation avec lui, j’avais l’étrange prémonition qu’il disparaîtrait après coup. En février 2020, je me rendis à nouveau dans l’école. Les bustes en plâtre avaient disparu avec le temps. Je me sentais dépositaire d’une partie de l’histoire de Chellappan que j’avais préservée par les moulages et le film. Je rencontrai deux des derniers modèles vivants de l’école qui l’avaient bien connu. Un homme, Krishnapillai et une femme, Laila. Je décidai de réaliser un portrait filmé de chacun en recueillant leurs témoignages sur la vie et les derniers jours de Chellappan. Les convergences et les divergences de ces deux récits participaient à alimenter les mystères autour de cet homme qui encore aujourd’hui continue de hanter l’école. Ayant appris des étudiants qu’il leur était impossible de peindre un modèle nu, ceci étant socialement proscrit, je leur proposai de poser nu une journée, de rendre ainsi un ultime hommage à Chellappan. Cela eut lieu dans un entrepôt en périphérie de Trivandrum. Le 6 février 2020, 19 peintures furent ainsi produites par les étudiants qui me confièrent leur difficulté à trouver la carnation du « modèle blanc ».