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Prière de marcher

François Daireaux est un homme aux semelles de peinture.
Véritable arpenteur de territoires, il ne cesse de construire des signes d’habitats précaires, des ruines métaphysiques, des surfaces réminiscentes dont le déploiement toujours pictural nous arrache à notre finitude et éclaire notre rapport au monde.
Toute l’œuvre est modulable, tissé entre fini et infini. Chaque espèce d’espace est l’occasion d’un parcours physique et métaphysique, l’œuvre s’élabore dans un incessant dialogue avec les matériaux, leurs contraintes et leurs possibles.

Chaque pièce réalisée est la mémoire vivante de notre civilisation. A travers les choix de matériaux de récupération souvent industriels, mais plus essentiellement dans les liens que l’œuvre bâtie instaure entre la technique de l’artisan et celle de l’artiste se dessine notre condition humaine dans son rapport au faire.
Cette condition de l’homme moderne dont parle Hannah Arendt à propos des relations entre le travail, l’œuvre et l’action est au cœur de la façon qu’à l’artiste d’habiter chaque nouvel espace d’exposition. Toujours, il construit l’espace qu’il s’approprie et suggère des passerelles avec d’autres productions : la mécanique des gestes des artisans fait écho à sa manière de réaliser ses installations.
L’oeuvre est aussi souvent indice d’une élaboration préexistante : les briques et le silicone sont des éléments récurrents. La répétition des éléments et de leur symbolique est inhérente au principe d’élaboration et de dégradation des œuvres produites.

Savant recyclage du vivant, l’œuvre est aussi le lieu où « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". Chaque œuvre est un nouveau réservoir d’énergie. Rien n’est jamais figé, les œuvres peuvent servir à en produire d’autres, elles craquèlent sous nos pieds et seront elles aussi reconditionnées, modulables à souhait.
Un processus d’instabilité est à l’œuvre.
Organismes vivants dans leur relation au temps de production, d’altération et de contemplation, les productions ici révélées sont le lieu d’un chant commun des éléments, d’un éternel retour.

Au visiteur ensuite, de franchir le seuil de la peinture à travers méandres et sillons de lumière, d’inventer ses propres cheminements, rythmés par les répétitions des multiples surfaces de silicone et de se laisser guider dans ce labyrinthe par la lueur allégorique des images vidéos. Les variations proposées révèlent les limites et l’impossibilité de constituer le monde en unités. En parcourant les all over de cette vallée de silicone, l’homme arrive à ses propres confins : perdu entre l’angoisse, l’absurde et le dérisoire, l’intelligence vacille face au silence du monde.
Chaque œuvre fait exister un ensemble de perceptions et de sensations jusqu’à l’idéation : elle draine avec elle le vivant et la pensée.

Le monde de François Daireaux est celui de notre humaine condition confrontée à la grandeur des lois naturelles.

Cécile Marie, janvier 2005

Texte de présentation de l’exposition pointinfini du 12 février au 16 avril 2005, Centre d’Art Passerelle, Brest, France.