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La couleur de l’attente

Et si l’attente avait une couleur, on n’a jamais renoncé à ces mouvements associatifs, prendrait-elle les qualités de l’éphémère ? Comme sur ces étranges alignements qu’anime un désir mortel, un désir de corps qui fuit, inéluctablement, qui porte en lui sa destruction magnifique. Les éléments qu’orchestre inlassablement François Daireaux, la lancinante reconduction des formes, le recueillement que celles-ci impliquent, appellent de la part du visiteur des mobilités contradictoires, on pourrait même ajouter “ contrariées ”. S’agit-il d’ex-voto que la nature elle-même a produits puis abandonnés, d’une armée figée avant l’assaut, d’une marche funèbre ? Doit-on les parcourir une à une, ou les évaluer dans leur globalité ? Diffusent-elles une force tapie de l’humanité, à la limite de ce que l’on croit reconnaître ? Impriment-elles la marque d’une chute ? Ou d’une naissance ?

L’attente, c’est la mort de tous. D’une telle assertion nous pourrions nous contenter, mais notre rôle n’est-il pas de nous opposer à cette autorité ? Notre refus de répondre ne dépend pas des statistiques.

Un vert qui va vers le jaune pour disparaître. Et l’apparence de la pierre aux reflets mouillés.

La prolifération dissuade du temps et de son caractère irrévocable. Pour François Daireaux, l’art n’est pas éloquence, ce qu’il construit ne manifeste aucune exaspération, il ne produit pas des emblèmes, le déploiement se succède sans agression, mais selon un rythme qu’il a lui-même qualifié de “ méditatif ”. Les architectures éruptives déjouent toute emphase, elles ne sont pas monumentales. Elles contredisent l’idée de catastrophe. La matière dont elles sont faites souligne cette indifférence au message dominateur. Ce qu’elles nous disent, sans mélancolie, c’est que nous avons peut-être perdu jusqu’à la fin du monde.

Une célébration sans Dieu. Ce qui émerge, de façon non mécanique, induit un monde profane. Devant le trouble que provoquent ces contaminations érigées, je me surprends à imaginer un lieu où l’homme échange des savoirs d’espace et de temps, brouillant les repères, provoquant des brouillages éthiques, un lieu sans décrets, sans protection, comme détaché des jeux coutumiers. Un lieu initiatique qui défie la chronologie. Ceux qui tentent de le parcourir savent sans doute que sous leurs pieds le sol reste instable, qu’on peut le voir à perte de vue, ou lové dans un pli, qu’on peut le concevoir sous la forme inconcevable de la dégradation, échappée somptueuse énonçant une solidarité à déchiffrer, toujours.

Pierre Giquel
Septembre 2000

Texte pour le catalogue édité à l’occasion de l’exposition "Vert de Terre" du 17 mars au 18 avril 2000, à l’Espace des Arts de Colomiers.